La première fois que, enfant, l’Histoire a pénétré mon imaginaire, c’est lorsque j’ai découvert les « hommes des cavernes ». Que de visions fantasmagoriques ! Ces premiers hommes, recouverts de peaux de bêtes, qui affrontent une nature sauvage, démesurée, hostile… La chasse est dangereuse, leurs armes rudimentaires n’offrent que peu de protection face à la faune d’alors. Une faune disparue qui, encore maintenant, ne cesse de susciter intérêt et curiosité : mammouths, tigres à dents de sabres, libellules géantes, etc… Mes tout premiers livres d’Histoire me montraient une Humanité à la merci de son environnement. Moi, enfant de la fin du XXème siècle, j’étais fasciné par une telle réalité.
Je ne saurais parler de l’imaginaire que véhicule la préhistoire, sans évoquer – le désormais célèbre – Rahan ! Cependant, ma fascination pour le « fils des âges farouches » ne tenait pas tant à l’aspect terriblement hostile de la nature, qu’à la présence de « Ceux-qui-marchent-debout ». En effet, série de bandes dessinées crée par Roger Lécureux et André Chéret en 1969, Rahan s’attache d’avantage à explorer les relations humaines, qu’à traiter du combat contre la nature. Dès le premier épisode du dessin animé, le ton est donné : « Puisqu’il n’a plus de clan, plus de horde, Rahan sera le fils de tous les clans de toutes les hordes ! Rahan ira partout, verra tout, apprendra tout ! Il révèlera aux uns ce que lui auront enseigné les autres ! ».
Ces premières formes d’organisations furent les prémices de nos sociétés modernes. Des sociétés primitives, en proies à une nature toute puissante, dépassées par des phénomènes dont elles ne sauraient comprendre l’ampleur. Des individus qui avaient leur propre vision du monde. Des idées qui furent autant de chemins vers les rêves, pour le « petit homme » que j’étais… De la même manière, aujourd’hui, les dernières tribus dites primitives nous interpellent et attisent notre curiosité, nourrissant notre imagination.
L’art pariétal, véritable témoignage des premiers temps de l’Humanité et de sa vision du monde, est une mine d’or inépuisable pour notre imagination. Nous dévoilant des animaux disparus et mystérieux, des scènes au sens obscure – pour ne pas dire ésotérique … Les représentations d’alors, loin de notre imagerie moderne, nous déroutent, entraînent l’esprit sur de nouveaux chemins. N’est-ce pas comme cela que commence tout voyage onirique ? Par la découverte d’un nouveau chemin de l’esprit…
Aussi, lorsque je me suis aperçu que le jour de notre ouverture coïncidait avec l’anniversaire des 70 ans de l’invention de la Grotte de Lascaux… je me suis dit que je me devais de faire honneur à un tel signe !
L’aventure d’une découverte : l’invention du site
Tout commence, il y a soixante-dix ans et trois jours (le 8 octobre 1940), au sud de la localité de Montignac, petite commune du Périgord noir en Dordogne. Marcel Ravidat se promène avec quelques amis et son chien Robot. Tout d’un coup, ce dernier s’engouffre dans un trou laissé par un arbre déraciné. Un trou au fond duquel, apparait un orifice d’une vingtaine de centimètres de diamètre et qui, selon la légende locale, serait une entrée possible du souterrain menant au manoir de Lascaux… Marcel décide alors de l’explorer plus à fond. Réalisant qu’un travail de désobstruction est nécessaire, il décide de revenir quatre jours plus tard accompagné de trois autres amis : Georges Agniel, Simon Coencas et Jacques Marsal.
Aidés d’un peu de matériel, et quelques efforts plus tard, ils arrivent enfin à élargir suffisamment l’orifice pour laisser passer un homme. Marcel se glisse alors le premier dans ce qui est une petite cheminée verticale. Mais, prenant appui sur un cône d’éboulis, il glisse brusquement jusqu’en bas, bientôt rejoint par ses trois comparses. A la lumière d’une lampe de fortune, commence alors la première exploration de la Grotte de Lascaux…
A la faveur d’un resserrement de la galerie, les premières peintures leurs apparaissent. Bovinés, cerfs, bouquetins, chevaux… certains animaux peints au plafond semblent s’enrouler d’une paroi à l’autre, dominant nos jeunes inventeurs de toute la hauteur de la roche ! La lumière mouvante semble donner vie à ses animaux d’un autre âge… Explorant alors toutes les ramifications de la galerie, c’est un fabuleux bestiaire qui défile devant leurs yeux. L’aventure de jeunesse est en passe de devenir une découverte archéologique majeure !
Un trou noir infranchissable stoppe brusquement nos jeunes comparses dans leur exploration effrénée. Nullement découragés par l’obstacle, ils reviennent le lendemain avec une corde. Marcel, prenant son courage à deux mains, descend. Il ouvre la voie dans ce qui s’avère être un puits de huit mètres menant à un nouveau réseau. Il est alors le premier – depuis des siècles, peut-être des millénaires ! – à contempler ce qui est sans aucun doute la scène la plus énigmatique de la grotte. Là, devant lui, peint sur la roche depuis des milliers d’années, un homme à tête d’oiseau gît au côté d’un bison blessé par une lance, tandis qu’un objet rectiligne surmonté d’un oiseau repose à côté…
Nos 4 aventuriers décident, face à l’ampleur de leur découverte, de prévenir leur ancien instituteur, Léon Laval. Nous sommes alors le 16 septembre 1940.
S’en suit une nouvelle visite de la grotte en compagnie de Mr Laval, le 18 du même mois. C’est alors au tour de l’abbé et préhistorien Henri Breuil d’être informé de la découverte. Il est le premier, trois jours plus tard, à venir authentifier les figures de la grotte. Une vérification qui sera faite en compagnie de l’abbé Jean Bouyssonnie, du Dr Cheynier et de Denis Peyrony – alors Conservateur du Musée National de Préhistoire, situé aux Eyzies-de-Tayac, en Dordogne.
Dès le mois suivant, les premiers travaux d’enregistrement et de relevés commencent, sous la direction de l’abbé Breuil. Le 27 décembre 1940 la grotte est classée par les Monuments Historiques. Les premières fouilles sont entreprises l’année suivante. Elles se font alors uniquement dans le puits, probablement dans l’espoir de trouver une sépulture au pied de la scène de l’homme à tête d’oiseau.
Les travaux d’aménagement, quant à eux, s’achèvent en 1948, permettant l’ouverture au public. Si le souhait de faire profiter – le plus rapidement possible – le grand public de cette découverte est fort louable, la conséquence de tels travaux sur l’équilibre de la grotte, associée aux répercussions de milliers de visites, s’est avérée désastreuse pour la conservation des œuvres picturales… Depuis les premiers signes d’altération, en 1955, plusieurs « maladies » sont apparues dans la Grotte. Amenant André Malraux, alors ministre chargé des Affaires Culturelles, à interdire l’accès de Lascaux au public, en 1963.
Cet arrêté, toujours en vigueur aujourd’hui, pousse à la création d’un fac-similé d’une partie représentative de la grotte (Diverticule axial et Salle des Taureaux), au début des années 70. La vente de la grotte à l’Etat a financé cette reproduction partielle, plus vrai que nature. Inaugurée en 1983, Lascaux II accueille depuis le grand public. D’autres fac-similés de parties différentes de la Grotte furent créés par la suite. Les derniers en date, présentés dans le cadre d’une exposition intitulée Lascaux révélé en décembre 2008, ont été transférés au parc animalier de Thot où ils ont été ouverts au public en juillet 2009.
La découverte de la Grotte de Lascaux, par quatre jeunes gens du pays, est une chance formidable pour l’Humanité dans sa quête des origines. Pourtant cette découverte et son exploitation ont mis en péril le devenir même de la Grotte. Le fragile équilibre, qui a permit la conservation des peintures jusqu’à nous, a été gravement atteint. La préservation de Lascaux est devenue une véritable guerre contre ses « maladies ». Aujourd’hui encore, de nombreux chercheurs continuent de travailler d’arrache-pied à la réparation des dégâts, sans réelles certitudes quant à l’avenir…
La découverte d’une aventure : l’Histoire de nos origines ?
Les représentations figurant à Lascaux se limitent à trois thèmes fondamentaux : la représentation humaine, les animaux et les signes.
La scène du puits contient l’unique représentation anthropomorphe de la Grotte de Lascaux. Un constat qui n’a rien d’exceptionnel car, rares sont les sites où l’on retrouve plusieurs figures humaines. En effet, l’homme est peu représenté dans l’art pariétal. Les rares représentations qu’on en connait sont soit parcellaires (mains en négatif ou positif, par exemple), soit chimériques, mélangeant anatomie humaine et animale. Ce qui est le cas de cette scène avec l’homme à tête d’oiseau. Pourtant le sens de cette scène continu de nous échapper. A-t-elle une portée symbolique ? Représente-t-elle un fait précis ? Est-ce une simple scène de chasse ?…
Le bestiaire de Lascaux ne contient pas moins de 600 représentants ! Dont un animal étrange, à la morphologie équine, qui semble porter deux cornes rectilignes sur son front – ce qui lui valu le surnom de Licorne… Les chevaux sont les plus représentés, suivis du cerf et de l’aurochs ; le bouquetin, puis le bison, venant après.
Un constat qui n’est pas à rapprocher des habitudes alimentaires de nos ancêtres. En effet, si l’on ne trouve qu’un seul renne gravé, cet animal représente 88% des restes osseux mis au jour. Un constat qui tend à démontrer que le but de ces œuvres n’était pas de représenter le quotidien, ni même de jouer un quelconque rôle rituel ou magique en rapport avec la chasse, comme cela a pu être avancé par le passé. Il est également intéressant de noter que les carnivores, à l’instar de ce que l’on a pu observer ailleurs, sont peu nombreux et gravés ou peints dans les zones les plus reculées de la grotte.
Une discrétion picturale qui fait écho à celle des prédateurs dans la nature et qui nous est également signifiée par la mise en œuvre d’autres procédés, lors de la réalisation des compositions. Les artistes de l’époque peuvent camoufler les carnivores en les insérant dans des dessins déjà existants ; comme par exemple, un ours dissimulé dans la bande ventrale d’un aurochs. Ils peuvent également opter pour une représentation minimaliste de ces « dangers », ne leurs donnant alors que peu de poids visuel. Il arrive également que ces premiers hommes décident de déguiser le carnassier, lui attribuant alors les parties anatomiques d’autres animaux. Ce dernier procédé a parfois été avancé pour interpréter la Licorne.
Si des signes non-figuratifs (lignes, ponctuations…) sont également à observer, on ne trouve aucune évocation du paysage extérieur ou de la flore – ce qui est une constante dans l’art pariétal.
Pour ce qui est de l’interprétation que l’on peut faire de ces différents éléments : l’idée d’un art pour l’art – datant de la fin du XIXème siècle, lors des premières découvertes – a cédé le pas à des théories d’ordre plus ethnologique. Différents travaux de recherches ont été conduits depuis sa découverte, menant à ceux dirigé par Norbert Aujoulat de 1988 à 1999. Ceci ont permit de mettre en exergue le caractère systématique du procédé de création des fresques.
Les artistes de l’époque tracent toujours le cheval en premier, suivi de l’aurochs puis du cerf. Cette façon de faire répond à des réalités naturelles, comme le souligne les analyses montrant les éléments de saisonnalité présents dans les représentations animales. En effet, les chevaux sont représentés en livrée de début de printemps, les aurochs d’été et les cerfs d’automne… La livrée, qui se réfère à la parade nuptiale dont la finalité est la reproduction, nous renvoie à la régénération de la vie, au cycle biologique. Les espèces choisies, quant à elles, nous renvoient au cycle de la nature, chaque espèce avec sa livrée correspondant à une saison particulière. Les cycles du corps et de la nature – de la vie – sont imbriqués dans une même représentation. Dans cette conjecture : temps biologique et temps cosmique se trouvent liés.
Ces œuvres, dès lors, « semblent être les témoignages d’une pensée spirituelle, dont la portée symbolique repose sur une approche cosmogonique ». Nous admirons les premiers mythes fondateurs ! Ces vastes compositions, au-delà d’une hypothétique dimension esthétique, avaient pour but de tracer les premiers chemins de la spiritualité. Il s’agit des premières tentatives d’explication du monde et de son déroulement. Ce sont là, les traces des premières réponses de nos ancêtres aux grandes questions de l’Humanité…
« De l’entrée jusqu’aux tréfonds de la grotte se déroule sous nos yeux le grand livre des mythologies premières, leurs fondements même, avec comme thème central la création du monde. »
Aujourd’hui inscrite par l’Unesco au patrimoine mondial de l’humanité, « La chapelle Sixtine de l’art pariétal »risque de nourrir encore longtemps notre réflexion, et par là même : notre imagination…
Référence :
http://fr.wikipedia.org/wiki/Grotte_de_Lascaux
Je vous invite chaleureusement à découvrir – gratuitement – la Grotte de Lascaux dans son intégralité, sur le site https://archeologie.culture.fr.