Pirate, corsaire, flibustier, boucanier… autant de mots qui, à eux seuls, suffisent à faire surgir des îles aux trésors, crochets, jambes de bois et autres Jolly Roger
, des tréfonds de notre imagination… C’est pourquoi j’ai souhaité évoquer ici une oeuvre atypique du genre, une histoire de pirates, qui navigue loin des rivages des grands récits d’aventure et de cape et épée de Robert Louis Stevenson ou Daniel Defoe : La Coupe d’Or
de John Steinbeck. Premier roman publié et relativement méconnu, de l’illustre auteur des Raisins de la Colère
, cette histoire de pirates fit de lui l’écrivain professionnel que nous connaissons tous.
J’ai eu la chance de découvrir cette histoire de pirates d’un autre genre, par le biais d’une préface de Joseph Kessel pour Des souris et des hommes
, aussi j’ai souhaité, avant toute chose, vous en livrer un passage :
Cup of Gold (1929) n’est qu’une longue vie romancée de Sir Henry Morgan, pirate anobli par le roi Charles II. Ce sont d’abord ses années d’enfance dans les brumes du Pays de Galles, entre sa grand-mère, Gwenliana, qui jouit du don de seconde vue, et le mystérieux vieillard Merlin, autrefois poète, aujourd’hui reclus dans sa maison emplie de harpes. L’enfant rêve d’aventures que son aïeule lui confirme comme faisant partie de sa destinée, et il s’embarque sans savoir que le capitaine se livre à la traite des esclaves. Il est vendu à la Barbade d’où il s’en va, quelques années plus tard, à la conquête de Panama, qu’on appelait alors « La Coupe d’Or ». […] Telle est, dans les grandes lignes, cette histoire riche en éléments romanesques. Fort bien amenée par l’étrange atmosphère de la campagne galloise, elle s’alourdit un peu à mesure que le récit s’allonge. Mais il y a de la couleur, des scènes de cruauté traitées avec un réalisme vigoureux qui ne nuit pas au ton un peu « conte de fées » d’où le roman tire son plus grand charme.
Jospeh Kessel dans la préface de
Des souris et des hommes de John Steinbeck, Ed. Folio – EAN : 9782070360376
Intrigué par cette présentation et curieux de rendre visite à Steinbeck au pays des corsaires, j’ai donc détourné mes pérégrinations littéraires vers La Coupe d’Or. Et puis, il faut le dire, ce n’est pas tous les jours que l’on peut lire l’histoire de pirates, qui plus est par un auteur couronné du Prix Nobel !…
Une Histoire de Pirates…
Dès les premières pages, je suis conquis et découvre un récit où onirisme et réalisme se côtoient sans fausses notes. En effet, ce premier roman contient déjà tout ce qui, par la suite, fera la particularité et la renommée de Steinbeck : la justesse de sa peinture sociale, sa capacité à montrer l’âme humaine, une nature personnifiée et omniprésente…Et pourtant, la nature sauvage du Pays de Galles, où nous accueille le jeune Henry Morgan, encore adolescent, se voit peuplée d’esprits, revenants et autres fantômes, dans une prose qui, par moment, touche au lyrisme. On en vient presque à attendre, au détour d’une page, le combat du pirate en herbe avec un esprit de la lande ! « Un ton un peu ‘conte de fées' », qui ne nuit cependant en rien à l’aspect historique, parfois rude, de cette histoire de pirate pour adultes. John Steinbeck démontre en effet, dans ce roman, un sens aigu de l’Histoire et ne semble s’accorder de liberté que pour mieux servir son dessein. En effet, si l’on peut relever un parti pris indéniable de la part de l’auteur, envers le personnage même du célèbre corsaire ; il n’en reste pas moins que l’ensemble conserve une grande qualité historique, offrant au lecteur une vision précise et véridique du contexte, des faits d’armes de notre flibustier ou encore, des réalités de la vie de boucanier.
En d’autres termes et pour prendre quelques exemples, si, sous la plume de J. Steinbeck, certains aspects bien connus de la vie de Sir Henry Morgan – tel que son alcoolisme forcené, son goût immodéré des maisons closes ou encore sa fin de vie scabreuse – sont entièrement gommés, il n’en demeure pas moins que les lieux, dates et autres faits d’armes, qui lui sont associés, restent rigoureusement exactes, jusqu’aux noms des bâtiments capturés. De même, si le parti pris romantique de John Steinbeck pour le Capitaine Henry Morgan entraîne quelques libertés dans le récit de la prise de Panama, ce dernier se révèle – sur un aspect plus général – d’un grand réalisme, des taureaux que les troupes espagnoles utilisèrent pour se défendre jusqu’aux montants des primes compensatoires reçues par les estropiés !
…Henry Morgan vu par John Steinbeck
A travers cette biographie romancée d’un célèbre flibustier britannique, c’est déjà l’âme humaine que cherche à explorer le futur auteur de A l’est d’Eden
. Plus précisément, John Steinbeck se questionne sur la nature des rêves et aspirations de l’enfant et sur leur destinée, dans un monde où tous les petits garçons finissent – tôt ou tard – par devenir des hommes.
Si dans La Coupe d’Or, le terme de butin est préféré à celui – mythique – de trésor, il ne faut pas s’y tromper, la ville de Panama représente pour Henry Morgan, ce que le trésor du Capitaine Flint représente pour Long John Silver : l’aboutissement de ses rêves, l’aboutissement de ses aspirations d’enfant. Ainsi, en explorant la vie de Henry Morgan, l’auteur suit surtout le destin d’un homme, ou plutôt d’un grand enfant, qui est allé jusqu’au bout de ses rêves et il s’interroge sur ce qu’il y a au-delà…
Aller plus loin dans la réflexion, serait éventer la teneur du roman. Toutefois, je peux dire que les éléments de réflexion apportés par l’auteur, m’ont permis de mettre en exergue certains aspects des oeuvres futures de ce grand écrivain. Et, ce disant, je pense notamment à Des souris et des hommes et au rôle fondamental que joue le personnage de Lennie, au sein de son duo avec Georges, dans leur rêve de posséder un bout de terre à eux(1-petite explication de texte ;)).
Aussi, cette histoire de pirate pour adultes ne comblera pas les inconditionnels de récits d’aventures, menés tambour battant, à grand renfort de cape et épée et autres îles au trésor. Toutefois, il offre aux plus curieux un traitement atypique de ce thème parfois surexploité, dans un souci de réalisme qui ne gâche en rien l’aspect romanesque. De plus, les amateurs de John Steinbeck qui ne connaîtraient pas encore cet ouvrage, y trouveront l’occasion – et le plaisir ! – de porter un nouveau regard sur l’auteur et son oeuvre.
Autrement dit : à ne pas laisser passer, pour tous ceux qui voudraient sortir des sentiers battus de la piraterie !
Notes sur l’auteur John Steinbeck :
- Dans le roman Des souris et des hommes de John Steinbeck, les deux protagonistes : Lennie – un simple d’esprit du niveau intellectuel d’un enfant – et Georges, travaillent comme ouvriers agricoles dans les fermes des Etats-Unis, en rêvant au jour où ils pourront s’offrir leur propre lopin de terre.
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