Brigitte Fontaine chez les Celtes et les fées ; voilà une accroche des éditions Flammarion qui n’a pas manqué d’attirer mon attention ! Après tout, on ne s’aventure pas tous les jours en féerie celtique sur ailes d’un ovni…
Si en musique le nom de Brigitte Fontaine était loin, très loin, de m’être inconnu, je dois avouer – à ma très grande honte – que j’ignorais tout de son activité d’écrivain. Aussi, lorsque je découvris cette belle réalité, je décidais d’immédiatement sauter sur l’occasion, pour en savoir plus long sur ce que j’allais découvrir comme son dix-huitième livre…
Et me voici parti à la rencontre du « récit des amours, des aventures, des exploits et des épreuves » de la fée Bedjaïa et du chevalier celte Ivor.
Chez les Celtes et les fées…
Une histoire d’amour du merveilleux celtique entre un membre du peuple Celte et une représentante du Petit Peuple, donc, avec laquelle Brigitte Fontaine démontre une fois de plus sa grande maîtrise des classiques. A l’instar d’une Vivienne Westwood, l’artiste a toujours représenté une figure chaotique, plus prompte à sortir des sentiers battus qu’à suivre les balises. Cependant, tout comme la styliste britannique, son oeuvre a toujours démontré une parfaite connaissance et maîtrise des règles et structures, exploitée en vue de son propre dessein. Renouant ainsi avec la symbolique et les archétypes des anciens mythes celtes, l’auteur fait d’une histoire d’amour féérique, de ses combats et de ses victoires, une geste intemporelle.
Bedjaïa est une magicienne, représentante d’un monde au delà du voile de réalité des mortels. Son rôle est très loin de se résumer à être la maîtresse d’Ivor. Elle est surtout l’initiatrice et la messagère de l’Autre Monde de son amant et amour : celle qui lui permet d’accéder à la connaissance qui lui donnera la victoire. Elle dévoile alors tout le sens du dicton : “derrière chaque grand homme se cache une femme”. Avec cette fée verte
, c’est la banshee originelle des mythes irlandais que l’on voit se réincarner et non une nouvelle Mélusine. De même Ivor est l’archétype du guerrier celte initié, tenant davantage du rusé Cúchulainn(1) que du galant Lancelot. Loin de passer son temps à conter fleurette, notre représentant du peuple celte est un combattant héroïque des temps anciens et non un chevalier romantique du Moyen Age.
De même, l’auteur se réapproprie certains symboles de la mythologie celte et renoue avec des éléments, comme – par exemple – le Sanglier des premières légendes. Dès lors, ce dernier retrouve la place que lui conférait la tradition primordiale et figure l’autorité spirituelle(2) ; et ce, même si Brigitte Fontaine se joue quelque peu du lecteur en exploitant l’image négative véhiculée par la tradition chrétienne. L’écrivain semble ainsi chercher à choquer, pour mieux nous renvoyer à nos propres préjugés. Un jeu qu’elle opère à de multiples reprises. Aussi, je précise que des éléments propres à heurter certaines sensibilités se trouvent dans cette oeuvre.
Exploitant ses éléments avec intelligence et une écriture qui respire l’innocence, Brigitte Fontaine réussit le tour de force de faire revivre pour nous une culture celtique épurée des incompréhensions et censures, qui ont déformé son reflet au cours des siècles. Sous sa plume enchanteresse, c’est la culture celte qui renait de ses cendres pour mieux crier son immortalité. En effet, à travers ce récit de merveilleux celtique des amours du chevalier Ivor et de la fée Bedjaïa, c’est le manifeste de l’Eternel Retour des celtes qui nous est livré… L’Alpha et l’Omega… Mais ça, je vous laisse le découvrir par vous-même.
…avec Brigitte Fontaine
Par ailleurs, dès l’ouverture de ce livre du merveilleux celtique, la structure du texte fait davantage penser à un recueil de poésies qu’à un roman. Un sentiment premier qui trouve rapidement son écho dans une magnifique écriture, gracieuse et ciselée, qui tient bien plus du poème en prose que de la romance. Fortes de mots joliment choisis, les phrases ont la beauté de la simplicité. Elles coulent comme l’eau d’une Fontaine aux fées. Alliant le lustre de l’ancien à la vivacité du moderne, la langue se pare de ses plus beaux atours. Elle se fait digne des auteurs des siècles passés sans rien perdre de son assise dans le temps présent. Avec l’emploi de mots peut usités à notre époque – tel que un vit
, pour désigner un membre virile – associé à la récurrence de termes résolument modernes – comme laser
–, l’écrivain nous dévoile une langue aux multiples éclats et sans cesse mouvante.
D’autre part, la nature est littéralement omniprésente dans le récit. Bien au delà de l’aspect romanesque, les éléments naturels sont – pour ainsi dire – présents à chaque phrase. C’est, tout simplement, une myriade de fleurs, feuilles, plantes, arbres, pierres précieuses, peaux de loups… et autres joyaux de la Nature qui nous est jetée aux yeux comme de la poussière de fée.
Enfin, si l’utilisation que fait Brigitte Fontaine de la ponctuation se révèle de prime abord des plus… déroutante ; elle apparaît rapidement comme un rythme nouveau, faisant chanter les phrases. Derrière la virgule inattendue apparaît, tout à la fois, la Dame de théâtre qui déclama Les Bonnes de Jean Genet et celle qui interprète sa poésie en musique. Le chanteur M a dit de Brigitte Fontaine : « Chez elle, comme chez Gainsbourg, il y a une façon de dire, une répartie qui n’appartient qu’à elle. » Avec cette syntaxe si particulière, c’est toute la force du verbe, si propre à cette grande artiste, qui est insufflé aux mots. Le texte semble alors vouloir s’affranchir des pages pour se faire parole, pour être entendu et plus seulement lu.
Tout cela donne immédiatement une incroyable puissance lyrique au livre qui, associé au thème du merveilleux celtique, ne peut que propulser le récit au côté des grandes gestes des temps passés. Ainsi l’histoire d’amour du chevalier Ivor et de la fée Bedjaïa semble comme ressurgie d’un lointain couloir du temps, depuis longtemps oublié et dont la poétesse aurait retrouvé l’entrée perdue…
Je dois dire que je ne me serais sans doute jamais arrêté sur cette oeuvre, si elle n’avait été signé par Brigitte Fontaine et, après lecture, je pense que personne d’autre n’aurait pu l’écrire. Avec Les Charmeurs de Pierres, c’est une véritable pépite, un roman merveilleux, petit bijou de l’orfèvrerie littéraire et imaginaire, que nous livre l’auteur, loin – très loin – des sentiers maintes fois battus du merveilleux celtique.
Il me semble avoir lu des best-sellers bien moins novateurs et intelligents, et dans le fond et dans la forme. Aussi, voyageur du merveilleux ne passe pas à côté de cet ouvrage aux démons et merveilles, qui te transportera sur les terres intemporelles des celtes et du Petit Peuple.
Mais, attention, toi qui entreprend le voyage, garde l’esprit ouvert et curieux, loin de tout préjugé.
Sources & Références :
- Cúchulainn (Cuchulain ou encore Cú Chulainn), est généralement considéré comme le plus grand héros de la mythologie celtique. Guerrier sans pareil, d’une ardeur au combat légendaire, il fut initié aux secrets du monde. Nombre de ses victoires sont dues à l’exploitation de son savoir par la ruse, bien plus qu’à la force de son épée.
- CHEVALIER (Jean) et GHEERBRANT (Alain) – Dictionnaire des Symboles : mythes, rêves, coutumes, gestes, formes, figures, couleurs, nombres – Editions Robert Laffont et Editions Jupiter ; 1982
Pour en savoir plus :
- Sur l’artiste Brigitte Fontaine – Article Wikipédia sur Brigitte Fontaine
- Sur les Charmeurs de Pierres – Découvrir l’extrait pdf du roman disponible dans la rubrique téléchargements